Lapsus 15/03/2023
Spécial Colloque- "La parole dans la clinique de demain. Etat des lieux d'une dépathologisation et perspectives"
Le tout-neuro : fascination ou effroi ?
Par Clémentine Cottin-Guilbert
“Je ne comprends pas pourquoi j’agis ainsi.”
“Cette relation me fait souffrir mais je ne peux pas partir.”
“Je ne peux pas m’empêcher d'y penser."
Voici quelques exemples qui peuvent amener une personne à consulter un psychanalyste. Nous y entendons quelque chose que le sujet ne comprend pas, une part de lui-même qui lui échappe. C’est lui qui agit ou qui pense et pourtant il ne s’y reconnaît pas. Cette part d’obscurité, au cœur de l’être humain, Freud l’a nommée l’inconscient. Il en fait la troisième blessure narcissique infligée à l’être humain, après Copernic (la terre n’est pas le centre de l’Univers) et Darwin (l’Homme descend de l’animal)[1]. Freud invente la psychanalyse dans un climat fortement marqué par les théories neurophysiologiques. Il est lui-même neurologue de formation et après une première tentative de faire entrer la psychologie dans le cadre des sciences naturelles[2], il rompt avec l’idée que les phénomènes psychiques ont une cause essentiellement organique, en étant attentif à sa propre vie psychique et particulièrement à ses rêves. Dans L'Interprétation des rêves, Freud évoque la tendance des psychiatres à vouloir chercher la causalité des rêves dans le cerveau car “tout ce qui pourrait prouver une indépendance de la vie psychique par rapport à des modifications organiques démontrables, ou une dimension spontanée dans ses expressions, effraie nos psychiatres d’aujourd’hui”[3] . La direction qu’il va prendre quant à l’étiologie du rêve sera toute autre.
Lacan aussi, dès ses débuts, alerte sur les dangers qu’il y aurait à essayer de concilier causalité psychique et causalité organique, en s’opposant notamment à la théorie organiciste d’Henry Ey[4].
Les avancées de la science remettent aujourd’hui cette question sur le devant de la scène. La possibilité d’observer le cerveau avec des techniques d'imagerie de plus en plus pointues ouvre, à nouveau, l’illusion de rendre l’être humain transparent à lui-même. Nous pouvons lire de nombreux articles sur la localisation de l’inconscient dans le cerveau. Pourrait-on arriver à bout de l'inconscient par l'avancée des savoirs scientifiques ? Cette part d’énigme nous rendant étranger à nous-même relèverait-elle seulement d’un manque de connaissances ? Les neurosciences, en s’emparant du domaine du psychisme, laissent entendre que tout de l’être humain pourrait être objectivable. Cette idée peut séduire voire fasciner face “à l’effroi qui s’empare de l’homme lorsqu’il se découvre dépassé par la dimension de l’inconscient, par le pouvoir de la parole et des pulsions”[5], mais elle est aussi effrayante car elle touche à ce qui fait le sel de la vie. Qu’est-ce qu’une émotion, aussi visible soit-elle dans le cerveau, sans un sujet pour en parler ? “Qu’est-ce que l’inconscient sans personne pour en faire l’expérience?”[6]
Le vivant, n’est-ce pas le rapport subjectif que chacun entretient à sa propre vie ?
Ces questions relèvent d’un choix dans le champ du rapport à l’humain, le choix pour reprendre une formule de Jacques-Alain Miller, “de ne pas être indifférent au phénomène freudien.”[7]
[1] Freud S., Introduction à la psychanalyse, Payot, 2004.
[2] Freud S., Entwurf einer Psychologie, Toulouse, Erès, 2019, p.11
[3] Freud S., L’interprétation des rêves, Paris, Points, 2013, p.76
[4] Lacan J,. Ecrits, Propos sur la causalité psychique, Paris, Seuil, 1966
[5] Leguil C., “L’inconscient et le sentiment de la vie”, Mental n°40, L’inconscient et le cerveau : rien en commun, 2017, p.59
[6] Ibid
[7] Miller J.-A., Habeas corpus, La cause du désir n°94, 2016